Redécouverte d’un jeton d’amour du XVIIe siècle

Le cabinet des monnaies et médailles de KBR conserve et étudie de nombreux objets numismatiques de l’Antiquité à nos jours. Lors de la description de cette riche collection, des pièces uniques retiennent parfois toute notre attention. C’est le cas d’un ducaton datant du XVIIe siècle, récemment « redécouvert», qui porte une inscription hébraïque au message émouvant.

En souvenir d’une guérison miséricordieuse

Au cours du XVIIe siècle, les Pays-Bas espagnols, comme leur nom l’indique, étaient sous domination hispanique. Le buste du roi d’Espagne, Philippe IV (1605-1665), au pouvoir de 1621 à 1665, orne donc l’avers de ce ducaton d’argent datant de 1636 [1]. Au revers de la pièce est représenté – comme sur tous les autres ducatons de cette époque – un blason couronné tenu par deux lions.

Bien que cette pièce se distingue par son poids double, c’est surtout l’inscription hébraïque sur le bord de la monnaie qui attire immédiatement l’attention.

Le ducaton avec son inscription hébraïque.

Une petite carte, conservée avec la pièce à KBR, révèle la traduction française de cette inscription : “En souvenir de la miséricorde continuelle de Dieu : le 4 et le 5 adar 577 [= 20 et 21 février 1817] la jeune fiance [sic] madame Rebecca est passée de la maladie à la santé parfaite. […] en parfait louange à Dieu, le créateur de l’univers.

Le texte hébraïque a été ajouté près de deux siècles après la frappe de la pièce, en souvenir de la guérison d’une jeune femme. Vraisemblablement, son fiancé est le commanditaire de cette inscription. Bien que la maladie en question ne soit pas précisée, la fiancée est très reconnaissante envers Dieu et sa miséricorde continuelle de l’avoir guérie.

La tradition des jetons d’amour

Cette inscription hébraïque confirme que ce ducaton en argent servait également de pièce commémorative personnelle. Cette pièce s’inscrit donc dans la tradition des jetons d’amour. Les jetons d’amour sont des pièces sur lesquelles une inscription est gravée et qui sont offertes en signe d’amour à un être cher.

Cette coutume était particulièrement populaire chez les Anglais. Des exemples de jetons d’amour sont connus dès le XVIIIe siècle. Ils étaient généralement fabriqués à partir de pièces de cuivre, d’argent ou d’or provenant d’Amérique ou de l’Empire britannique. À l’origine, ils contenaient une inscription en langue romane. Le revers ou l’avers de la pièce était lissé en vue d’y graver une nouvelle inscription [2].

Le fait que ce jeton d’amour de notre collection se compose d’une pièce de monnaie des Pays-Bas méridionaux et contienne une inscription hébraïque sur son bord rend cette pièce exceptionnelle.

Un mariage juif ?

En plus d’honorer un être cher, cette pièce a peut-être eu une autre fonction importante. En effet, lors de la cérémonie d’un mariage juif, le marié offre un objet d’une certaine valeur à la mariée, le kinyan. Aujourd’hui, il s’agit généralement d’une bague mais par le passé, il n’était pas rare d’offrir une pièce en argent ou en or. Cette tradition est aujourd’hui toujours respectée chez les Juifs yéménites, séfarades et orientaux [3]. Notre ducaton en argent se référant clairement à une femme fiancée, il est dès lors fort probable que cette pièce ait été offerte lors de la cérémonie d’un mariage juif.

Bien qu’il soit pratiquement impossible d’identifier cette jeune Rebecca, mentionnée dans l’inscription hébraïque, et le propriétaire initial de la pièce, elle donne cependant un précieux aperçu sur les multiples facettes, aussi bien pratiques qu’émotionnelles, que pouvaient revêtir ces pièces de monnaie par le passé.

Pour toutes ces raisons, ce ducaton en argent est un bel exemple des nombreux trésors que conserve KBR.

Monnaies et médailles à KBR

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Bibliographie

  • MILLMORE, ‘An Heart that can Feel for Another: Love Tokens and the Icon of the Heart in Eighteenth-Century Britain’, K. BARCLAY et B. REDDAN red., The Feeling Heart in Medieval and Early Modern Europe: Meaning, Embodiment, and Making, Berlin et Boston, 2019, p.203-219.
  • KURITZKY, ‘Hebrew Love Tokens’, The numismatist, 10 (2003) p. 50-53.
  • THOMPSON, ‘Wedding Customs: Old, New, Reinvented’, Jewish Federation of Greater Metrowest NJ, s.d., (Wedding Customs: Old, New, Reinvented – Jewish Federation of Greater Metrowest NJ (jfedgmw.org).

[1] H. VANHOUDT, De munten van de Bourgondische, Spaanse en Oostenrijkse Nederlanden en van de Franse en Hollandse periode (1434-1830), Heverlee, 2015.

[2] S. KURITZKY, ‘Hebrew Love Tokens’, The numismatist, 10 (2003) p. 50-53; B. MILLMORE, ‘An Heart that can Feel for Another: Love Tokens and the Icon of the Heart in Eighteenth-Century Britain’, K. BARCLAY et B. REDDAN red., The Feeling Heart in Medieval and Early Modern Europe: Meaning, Embodiment, and Making, Berlin et Boston, 2019, p.203-219.

[3] R.L. EISENBERG, The JPS Guide to Jewish Traditions, 2004, Philadelphia, 43; M. THOMPSON, ‘Wedding Customs: Old, New, Reinvented’, Jewish Federation of Greater Metrowest NJ, s.d., (Wedding Customs: Old, New, Reinvented – Jewish Federation of Greater Metrowest NJ (jfedgmw.org)). Consulté le 16 novembre 2021.