Photo de plusieurs éditions de roman "La Princesse de Clèves" de Madame de La Fayette, conservées à KBR

La Princesse de Clèves

Il y a presque 350 ans : le premier roman « psychologique »

En 1678, Paris voit la publication d’un roman anonyme. Dans la préface, l’éditeur explique cet anonymat : l’auteur «  craint que son nom ne diminuât le succès de son livre ».

La Princesse de Clèves se déroule à la cour des rois de France Henri II (1547 – 1559) et François II (1559 – 1560). L’époque est mouvementée : aux intrigues politiques et aux guerres s’ajoute la mort tragique d’Henri II en 1559. Lors d’un tournoi, la lance de son adversaire heurte violemment son œil. Il décédera quelques jours après. 

Toutes ces crises ne sont que l’arrière-fond sur lequel se déroule La Princesse de Clèves, souvent considéré aujourd’hui comme le premier roman psychologique.

Au centre de l’histoire se trouve Mademoiselle de Chartres qui n’a pas encore tout à fait 16 ans. Elle est ravissante, intelligente, vertueuse, aimable et richissime. La phrase par laquelle elle est introduite dans le récit produit l’effet d’une flèche lancée par Cupidon : «  Il parut alors une beauté à la Cour ».

Et Cupidon vise juste.


(affaire à suivre…)

Une révolution littéraire

Avec La Princesse de Clèves, les flèches de Cupidon lancent une étoile littéraire.

L’œuvre marque une rupture avec les romans héroïques prolixes qui avaient dominé la scène littéraire jusqu’alors (où d’innombrables intrigues dans des pays lointains et dans un passé lointain s’entremêlaient sans arrêt). L’auteur opte pour un roman plus court et utilise un style concis, précis et sobre.

Mais ce qui est vraiment révolutionnaire est que l‘histoire évolue en fonction des pensées et encore plus des sentiments des personnages, surtout de la protagoniste principale. Pour cette raison, La Princesse de Clèves est considéré comme le premier roman psychologique.

L’auteur est… une femme

Pour nous, ce serait une info comme une autre : Madame Marie-Madeleine Pioche de la Vergne, comtesse de La Fayette, a écrit un chef-d’œuvre. Mais une femme comme auteur au Grand Siècle français, pas question !

Dans la préface susdite, l’éditeur précise : « l’auteur […] sait par expérience que l’on condamne quelquefois les ouvrages sur la médiocre opinion qu’on a de l‘auteur. […] Il demeure donc dans l’obscurité où il est, pour laisser les jugements plus libres et plus équitables ». Une femme écrivaine n’était très souvent pas prise au sérieux et il en resterait longtemps ainsi, jusqu’au 20ième siècle.

Dès la parution de La Princesse de Clèves, il était d’ailleurs de notoriété publique dans les cercles littéraires que Madame de La Fayette en était l’auteur. Elle avait son propre salon littéraire dans son « hôtel » luxueux dans le Marais, le quartier parisien huppé de l’époque.

Elle aurait écrit ce roman avec deux amis proches : la marquise de Sévigné (une cousine par alliance et connue comme épistolière intarissable par ses innombrables lettres à sa fille) et le duc de La Rochefoucauld.

Un bestseller d’antan dans les collections historiques de KBR

Ce chef-d’œuvre anonyme a fait fureur dès sa parution. KBR est la fière propriétaire d’un exemplaire de l’édition originale (anonyme) de 1678 (Paris, Claude Barbin), une donation du baron Van Bogaert (FS XXXV 800 A).

Dans notre exemplaire, les quatre volumes, imprimés en très grands caractères, sont reliés en deux tomes. Le premier volume porte la signature de Madame de Sévigné, en-dessous d’une notice : «  Du Cabinet des Rochers ». La Seigneurie des Rochers, situé près de Vitré en Bretagne, était le château de la famille de Sévigné depuis le 14ème siècle. Il est donc très probable que cet exemplaire de KBR a appartenu à Madame de Sévigné même.

En 2024, KBR a acheté la première édition bruxelloise de La Princesse de  Clèves (Bruxelles,  Jean de Smedt, 1705, LP 17.348 A). Cette édition – rare par ailleurs – porte comme titre : Les amours de la princesse de Clèves et du duc de Nemours.

Sur la page de garde se trouvent des notices manuscrites sur l’attribution de l’œuvre. D’après un catalogue existant (que nous ne sommes pas encore parvenus à identifier) l’auteur serait le comte Roger de Bussy-Rabutin. Ce cousin de Madame de Sévigné était un libertin notoire; son roman Histoire amoureuse des Gaules, dans lequel il décrit les intrigues et les frasques de la Cour, ont ajouté à sa réputation. Mais la notice conclut :   « il ne l’est point du tout ».  

Et la suite de l’histoire? – ATTENTION SPOILER !!!

Le prince de Clèves demande la main de Mademoiselle de Chartres, la débutante la plus en vue de la saison. Elle ne l’aime pas mais se plie aux usages : elle devient  princesse de Clèves.

Cependant, Cupidon ne chôme pas. Lors d’un bal à la Cour, Henri II présente la princesse au duc de Nemours, diplomate de premier rang et confident du Roi. Tout de suite, c’est le coup de foudre mutuel.

Après le bal, le duc de Nemours veut revoir la princesse de Clèves. Celle-ci, voulant rester fidèle à son mari, fait un choix déchirant : elle part à la campagne pendant que son mari, qui ne comprend pas les raisons de ce départ, reste à la Cour à Paris.

Finalement, le prince de Clèves oblige sa femme à rentrer à Paris. Inévitablement, elle rencontre le duc de Nemours et l’irréparable se produit : la princesse avoue à son mari qu’elle est amoureuse du duc de Nemours.

Peu après, le duc de Nemours avoue, indirectement, à un ami commun qu’il est amoureux de la princesse. Dans le circuit des ragots, ces deux histoires se fusionnent. Le prince de Clèves se persuade que sa femme et le duc ont une liaison.

Le prince reste calme mais la jalousie et le chagrin le rendent gravement malade. Peu après, il meurt. Rien n’empêche donc plus un mariage d’amour. Le duc de Nemours l’espère, en tout cas.   

Mais il n’en sera pas ainsi. La princesse de Clèves est complètement effondrée et elle n’aspire plus qu’au repos. Elle juge, en outre, de son devoir moral de se retirer du monde. Elle va vivre dans les Pyrénées où elle partage son temps entre sa propre maison et un couvent, refusant de rencontrer le Duc; « et sa vie, qui fut assez courte, laissa des exemples de vertu inimitables ».

Texte: Beatrijs Vanacker et Wim De Vos