Le manuscrit de Johannes de Altre : un assemblage hétéroclite de connaissances

À première vue, le recueil de manuscrits de Johannes de Altre (KBR, ms. 15624?41) semble contenir un assemblage de textes de toutes sortes. Outre la « Cyrurgia » de Jan Yperman consacrée à la chirurgie traumatologique, on y trouve également l’encyclopédie sur la nature de Jacob van Maerlant intitulée « Der naturen bloeme », un texte sur la chiromancie ainsi que le «Boec van astronomiën ». La diversité de textes contraste avec l’aspect austère de l’ouvrage. Le manuscrit ne contient aucune illustration, peu de fioritures et les pages sont confectionnées avec un parchemin bon marché.

Dès lors, qu’est-ce qui rend ce manuscrit si intéressant ? Ces textes, apparemment disparates, ont été délibérément rassemblés dans un seul recueil et par une seule personne connue sous le nom de Johannes de Altre.

Le fil conducteur : un médecin

En 1351, Johannes de Altre a probablement rassemblé tous ces textes pour son propre usage. Il s’intéressait donc à la chirurgie traumatologique, à la nature, à la chiromancie et à l’univers. Aujourd’hui, ces centres d’intérêt nous semblent très variés mais au Moyen Âge il existait bel et bien un lien entre tous ces domaines : la médecine.

Johannes de Altre était vraisemblablement un médecin. Cette hypothèse est renforcée par d’autres textes trouvés dans le manuscrit, comme l’« Herbarijs » sur les plantes médicinales, des textes du guérisseur arabe Ibn Sinna (Avicenne), de nombreuses recettes d’huiles et d’eaux et des textes sur la science urinaire.

Tout cela semble logique, mais quel est le rapport entre un médecin et un traité sur les étoiles et les planètes ?

Médecine médiévale

Que feriez-vous si votre médecin vous demandait votre signe astrologique avant de poser un diagnostic ? Vous seriez pour le moins surpris. Les choses étaient différentes au Moyen Âge. Tout médecin qui se respectait tenait compte des astres lorsqu’il établissait un diagnostic. Dans sa « Cyrurgia », Jan Yperman note :

“Een surgijn es sculdech te wetene ten minsten vander manen ende vanden tekenen.”

Ce qui signifie qu’un chirurgien doit au moins avoir une connaissance de la lune et des signes du zodiaque.

Un médecin médiéval tenait donc compte des étoiles pour déterminer le moment du traitement. On supposait que la position de la lune et des autres planètes avait une influence sur la vie terrestre. Tout comme la lune exerce une attraction sur les mers et crée les marées, la lune attirerait également les fluides corporels tels que le sang, créant en quelque sorte un flux et un reflux dans l’organisme. L’astronomie était par conséquent une science imposée à tous les étudiants en médecine au Moyen Âge. Le « Boec van astronomiën » le souligne :

“Hier bi en soude gheen meester sijn, wildi hi wesen goet phisicijn, hi en soude van astronomien leren.”

C’est-à-dire que toute personne qui souhaite devenir un bon médecin ne peut devenir maître sans apprendre également l’astronomie.

L’astronomie pour les médecins

Pour devenir un bon médecin, il fallait donc apprendre l’astronomie. C’est probablement pour cette raison que Johannes de Altre a inclus le « Boec van astronomiën» dans son manuscrit. Cet ouvrage d’astronomie du XIIIe siècle est une cosmographie, c’est-à-dire une description de l’ensemble du cosmos.

L’auteur nous renseigne non seulement sur la distance entre les planètes et la raison pour laquelle les étoiles filantes tombent, mais aussi sur l’origine des tremblements de terre et sur la formation de la grêle. L’auteur de cette cosmographie (malheureusement resté anonyme) utilise des rimes en moyen néerlandais.

Avant-garde en moyen néerlandais

Ce « Boec van astronomiën », rédigé en néerlandais au XIIIe siècle, est tout à fait exceptionnel. En effet, avant le XIIIème siècle, les sujets tels que l’astronomie étaient essentiellement étudiés en latin dans les universités. On peut donc parler d’un travail précurseur. La plupart des textes du manuscrit de Johannes sont rédigés en moyen néerlandais. Il y a également intégré des recettes et quelques vers en latin. Johannes pouvait probablement se débrouiller en latin mais il semble toutefois avoir une préférence pour la langue vernaculaire.

La façon dont le texte est présenté est particulière. Seulement dix manuscrits présentant cette cosmographie sont connus. Neuf d’entre eux sont illustrés par des diagrammes représentant le cosmos, ce qui laisse supposer qu’il existait dès le départ une corrélation précise entre le texte et l’image. Pourtant, Johannes de Altre a choisi de ne pas illustrer sa version :

‘‘Hare namen ende hoe si staen,

siet hier in ene figure staen…’’

‘‘…Die ic hier niet en wille scriven,

ic hebber so vele laten bliven.’’

Pensait-il que des illustrations auraient gâché du parchemin ? Ou Johannes de Altre n’était-il tout simplement pas doué pour le dessin ? Nous ne le saurons jamais. Sans doute a-t-il jugé que des illustrations n’étaient pas nécessaires pour la compréhension du texte. Son choix renforce donc l’hypothèse qu’il ait réalisé le manuscrit pour son propre usage.

Cire d’abeille, jambes cassées et route vers Jérusalem

Les textes sur les étoiles, les planètes et la médecine appartiennent au genre dit de la littérature des artes. Ce sont des textes qui traitent de sujets pratiques, de textes documentaires qui ont pour objectif de transmettre des connaissances. Il existe par exemple des textes sur les différentes utilisations de la cire d’abeille, sur la manière de poser une attelle sur une jambe cassée ou sur les meilleurs itinéraires pour se rendre à Jérusalem.

Dans la littérature des artes, il est courant de rassembler plusieurs titres dans un seul volume. On parle alors de recueil de manuscrits. Aujourd’hui, nous avons une définition très restreinte de ce qu’est un livre, c’est-à-dire qu’une reliure contient un titre.

Au Moyen Âge, cette définition était beaucoup plus large. Rassembler des textes dans un recueil de manuscrits pouvait s’étaler sur des années, voire des siècles. Ce manuscrit en est un bel exemple. Au XVIe siècle, Godefridus Leonijs, un apothicaire originaire de Malines, y a ajouté des recettes de remèdes contre les poux.